- AAtelier du Pont
L’atelier a été fondé en 1997 par Anne-Cécile Comar, Philippe Croisier et Stéphane Pertusier, d’un rêve naïf, alors jeunes architectes, de dessiner une architecture qui leur ressemble. Au fil des déménagements, des rencontres et des commandes, l’agence s’est frottée aux joies du collectif, s’est retrouvée embarquée dans des mouvements de jeunesse, a grandi et malheureusement, perdu un de ses fondateurs. Aucun cours de management n’expliquant la meilleure façon d’organiser une agence, nous avons avancé à tâtons, en testant des organisations, des méthodes, pour finalement définir notre structure actuelle, réunissant près de cinquante collaborateurs capables de répondre comme une seule personne à un champ de projet couvrant toutes les échelles du design d’objet aux programmes complexes en milieu urbain contraint.
Plusieurs pôles dédiés à la conception ou au suivi de chantier, aux images ou au sourcing des matériaux, agissent en synergie, de l’esquisse à la livraison. Des conférences traitant de sujets d’actualité ou des activités extra-architecturales comme des cours de yoga facilitent l’échange entre les collaborateurs impliqués sur des sujets différents. Autour de ce noyau dur, une galaxie fidèle de bureaux d’études, à l’instar de Plan02 intervenant dès les premières phases du projet sur les questions environnementales. Enfin, depuis 2022, l’atelier a rejoint celui que l’on pourrait considérer comme son 50e collaborateur, l’immeuble de l’impasse Lamier, notre village, notre place du marché, où l’agence mesure au quotidien le potentiel expérimental et utopique de l’architecture.
- BBalnéaire
« Archi libre, toujours tu chériras la mer », pourrait-on dire en paraphrasant Charles Baudelaire. Si la maison urbaine offre une singularité enviée dans la ville, la maison suburbaine déploie une arcadie plus ou moins heureuse, rien n’égale la maison balnéaire plaçant l’intimité de l’habitat face à la l’infinité des océans qui pousse les populations à investir en masse les grandes zones côtières — 3,8 milliards d’habitants de la planète résideraient à moins de 150 km du rivage, selon l’UICN. Cabanon, villa, manoir, hôtel quel que soit le programme, l’architecture balnéaire se plie sans hésiter au vent de liberté soufflé par la mer. Elle expérimente en liberté sans obéir aux codes de l’habitat dictés plus par la morale et l’habitude que la vision. Pourquoi ne pas construire une grotte dans sa maison ?
À la fois caverne ouverte sur la mer et pont habité, la maison de Casa Luna transcrit la nature dans sa structure en pierre. Les référents habituels aux plafonds plats disparaissent dans le salon, abrité du soleil sous un dais de béton imitant la toile tendue. La maison fait mine d’être secondaire au Cap Ferret, où elle mime un assemblage de cabanes disposé selon la seule logique de la nécessité. Les fenêtres triangulaires coupant les angles paraissent sorties d’un bricolage intempestif et génial. Tout semble accidentel et précaire, tout est savant et calculé pour mener sans danger une vie de Robinson. Discrète, sophistiquée et paradoxale, l’architecture balnéaire libère son occupant du poids de la construction.
- CCasque
Les casques nous en font voir de toutes les couleurs. Parés de teintes kakis disposées en motif de camouflage, ils diffusent le parfum morbide de la destruction et la promesse de l’anéantissement, et il faut souvent attendre qu’ils virent aux bleus pour ramener un semblant de paix et de sérénité. Les casques bigarrés aux chatoyantes teintes fluorescentes coiffent ceux et celles qui dévalent les pentes et veulent aller vite, à ski, en vélo, en moto. La fureur chromatique s’apaise sur le chantier. S’il est organisé selon les règles, le casque blanc signale le conducteur de travaux, l’ingénieur, ou le visiteur. Le bleu désigne l’électricien. Le jaune repère le maçon. Les nôtres sont sombres, conformément à l’adage qui veut que tous les architectes s’habillent, sans qu’on sache bien pourquoi, de noir.
Vous trouverez toujours un casque noir sur les chantiers de l’Atelier du Pont. Sous la visière, un ou une architecte veillant au respect des intentions de projet, contrôlant l’exactitude de la pose, étudiant les solutions possibles à un problème impromptu. « On dit souvent au village qu’un casque, ça sert à rien du tout », bramaient autrefois les étudiants de la section architecture de l’école des Beaux-Arts. Les villageois avaient tort : un casque, ça sert à faire des bâtiments conformes à son dessin, et parfois même encore meilleurs. Et nous les chantiers, malgré les embûches et les tentatives de nous les retirer, on les aime et on continue de les suivre, coûte que coûte, en plein soleil ou dans le froid polaire, pour que ce qu'on livre à la fin ressemble vraiment à ce qu’on avait dessiné.
- DDessin
Nous dessinons pour construire. Chaque ligne que nous traçons sera transformée en fenêtre, en poutre, en mur, en terrasse, en garde-corps. Dès l’esquisse, les plans de nos projets se couvrent de traits informés par la réalité matérielle du bâtiment. La droite de la toiture appelle un isolant ou une étanchéité. Le plancher garde la gaine en réserve. Le garde-corps trouve sa mesure et donne la proportion de la baie. Tous les architectes de l’agence apprennent à dessiner dans cet esprit rigoureux et exigeant, parfois tyrannique lorsque l’on pense à ces dessins d’artistes laissant plus de place à l’expressivité et au lyrisme.
Nous assumons ce dessin contraint parce qu’il nous apporte la liberté de réaliser ce que nous avons réellement voulu concevoir. Il faut savoir être rigoureux sans être rigide : la rationalité n’exclut pas l’expressivité d’une grande portée pour recouvrir une salle de congrès comme à l’ESA, ou l’éloquence de formes sculpturales reconstituant en toiture un coquillage à l’échelle de la grande salle d’assemblée de Mayotte. La qualité de nos dessins n’apparaît pas sur une cimaise : elle se mesure face au bâtiment, dans un jeu de comparaison présentant bien moins de sept erreurs. La similarité entre les traits portés et les moindres détails réalisés est notre plus grande fierté.
- EEscalier
« Architectes : Tous imbéciles. Oublient toujours les escaliers des maisons », affirme Flaubert dans le dictionnaire des idées reçues. Aujourd’hui, tout se passe comme si la société dans son ensemble avait oublié les escaliers des maisons et des immeubles. Tués par l’ascenseur et les réglementations incendie, les escaliers logent désormais dans des boyaux aveugles, des tubes fluorescents éclairent leurs marches de béton, préfabriquées ou coulées en place de façon plus ou moins hasardeuse. Si l’on a de la chance, une peinture feindra d’égayer le parcours. L’escalier vaut pourtant mieux qu’une zone d’évacuation désenfumée.
C’est un espace de sociabilité, où se rencontrent les occupants des immeubles. Un morceau de bravoure architectural du plus banal au plus grandiose, de l’escalier à limon sculpté de l’immeuble haussmannien à l’escalier suspendu de Saarinen pour la General Motors. Bref, l’escalier en impose, ou plutôt en imposait. Parmi les missions que nous entendons réaliser, celle de restaurer l’importance de l’escalier si injustement brocardé. Nous l’avons fait à l’ESA, avec un escalier tournant passant du hall aux vestibules d’une grande salle de congrès. L’escalier serpente à Villeurbanne, prend une allure rustique et reste de bois à Woody, se retourne à Son Blanc. Il se voit et nous transporte.
- FFait-main
L’industrie tend à transformer l’architecte en assembleur de produits sur catalogue, l’artisanat voit en lui un partenaire dans la transformation de la matière, et fait de la fabrication le temps d’une recherche active. Nos projets minorquins ont été l’occasion de développer cette interaction rare, subsistant dans les lieux où l’isolement incite à prêter une intention accrue aux ressources constructives. Anomalie dans un univers d’abondance, les contextes insulaires incitent à explorer les possibilités matérielles d’un monde fini, condition qui est en réalité celle de toute la planète. Les rapports s’inversent : une matière pauvre, aussi triviale que la terre, prend sa valeur entre les mains du potier. Là où l’industrie élabore ses produits à travers une série de contraintes dont une fraction seulement relève de préoccupation architecturale, notre dialogue avec les artisans interroge les matériaux à chaque projet.
La branchette broyée ou brulée par une industrie qui la juge inutilisable est retravaillée pour former un claustra entre deux pièces, et trouve une unité hors de toute norme et tout calibrage. Le savoir-faire redonne au mur de pierre une texture vivante. Élaborée par une main pensante, elle restitue le temps et l’intelligence de la matière accumulés pendant sa construction. Au côté de l’artisan, l’architecte passe les usages au tamis d’un dialogue où la forme naît d’un croisement entre un savoir-faire technique, la nature d’un matériau et une intention de projet. Une logique que l’agence s’efforce à systématiser, en cherchant à identifier les savoir-faire sur l’ensemble de ses territoires d’intervention.
- GGesamtkunstwerk
«Êtes-vous architecte d’intérieur ou d’extérieur ? » demandent spontanément les néophytes. Si la question vient si naturellement à l’esprit du public, c’est que l’époque a décidé qu’il fallait couper l’architecture en deux, afin d’en réserver une aux bâtiments, aux grandes structures, aux immeubles, et d’en garder une autre, presque futile, pour le quotidien, les petites choses secondaires. Cette séparation paraît naturelle et logique alors qu’elle est aussi récente qu’absurde. Les grands architectes ont toujours conçu d’un même trait les intérieurs et les extérieurs de leurs projets.
Pour nous, cette répartition des tâches répond plus à des logiques de division du travail qu’à une réalité architecturale. Intérieur et extérieur sont indissociables, l’un prolonge l’autre, d’une échelle générale à une échelle plus intime, mêlant espace et sens : le toucher, la vue, l’ouïe, et pourquoi pas, l’odorat. Nous avons pu concilier ces deux échelles pour la première fois pour le siège de Santé publique France ou plus récemment celui de RATP Habitat. à l’hôtel Son Blanc, nous avons réalisé des meubles dont nous envisageons désormais l’édition. En dessinant tout de la cuillère à la ville, nous voulons nous replacer dans la tradition du Gesamtkunstwerk, l’œuvre d’art totale, pour façonner l’environnement dans tous ses aspects et toutes ces échelles : un design global.
- HHôtel
On l’oublie souvent, c’est dans l’hôtellerie qu’ont été acclimatées les innovations devenues banales : la salle de bain dans les appartements, les ascenseurs, le téléphone, la télévision câblée. À l’heure où les téléphones donnent accès à des milliers de chaînes depuis nos poches, l’innovation hôtelière doit se déplacer vers l’éthique, et réconcilier le tourisme et l’environnement apparemment inconciliables. Pas un paquebot accueillant des milliers de consommateurs frénétiques, mais, comme à Son Blanc, une petite unité agricole où l’on découvre l’écosystème particulier d’une île, son équilibre fragile.
En Ile-de-France, hybride entre l’hôtel et la résidence secondaire, un domaine que nous transformons symbolise une nouvelle forme de tourisme : les hôtes de ce hameau rural contemporain viennent rechercher le calme, la nature, à peine à deux heures de chez eux. Est-ce un Mirage ? Le nôtre est à Bormes-les-Mimosas, et disperse ses chambres dans la pinède. L’interstice prend le pas sur le bâti. Le voyageur n’est que l’invité de la nature. Une illusion plus qu’une hallucination ? Confiants dans les capacités de l’hôtel à porter l’innovation, nous espérons que ces dispositifs se diffuseront pour que l’on se sente à la maison comme à l’hôtel.
- IIle
À la question « êtes-vous des architectes modernes ou traditionnels », nous répondons « Minorque ». Découverte grâce à la maison familiale d’Anne-Cécile depuis déjà plusieurs années puis à l’occasion d’un projet de reconversion d’une finca avec services hôteliers, cette île des Baléares classée réserve de biosphère par l'Unesco depuis 1993, nous a confronté à des dimensions architecturales rarement présentes dans nos projets métropolitains. Les maisons rurales, à l’intérieur des terres, renvoient à cette « architecture sans architectes » théorisée par Bernard Rudofsky. Après ce premier projet, Es Bec d’Aguila, de nouveaux ont permis d’approfondir notre connaissance de l’architecture minorquine, et de côtoyer les entreprises locales, qui sont devenues depuis de véritables partenaires.
Terres limitées en surfaces, éloignées, les îles se posent la question des ressources et de leur transformation. Les savoir-faire artisanaux disparus dans nos régions y subsistent. C’est sur eux que nous nous sommes appuyés pour développer des éléments de mobilier et d’architecture intérieure que nous ne considérons pas comme une « décoration » superflue, mais bien une façon d’apporter des dimensions tactiles et sensibles à l’espace architectural. À Minorque, nous revisitons le régionalisme et le vernaculaire, deux concepts considérés comme rustiques qui contiennent ce qu’il y a sans doute de plus luxueux aujourd’hui : le fait main, le rapport direct aux matériaux faiblement transformés, l’utilisation de ressources locales, une frugalité créative.
- JJour de fête
Concevoir pour la fête, c’est penser simultanément le visible et l’invisible. La scène, ses paillettes, ses lumières, où tout paraît facile. Et les coulisses, leur chaos, leur fonctionnalisme exacerbé, leur négligence, où l’on cache les ficelles et les efforts qui feignent de rendre le difficile aisé et la prouesse naturelle. Notre premier numéro à l’Académie Fratellini consiste à adapter une halle construite dans des matériaux légers aux normes d’aujourd’hui.
Il faut ensuite simplifier les parcours et la cohabitation des fonctions entre lieux de spectacle et de formation, repenser l’accueil des spectateurs sans trahir l’écriture architecturale de Patrick Bouchain et Loïc Julienne. La halle de Bissen au Luxembourg désigne le centre du quartier, elle articule les parcours et structure les cheminements entre les différentes parties de cette petite ville. Il n’est plus ici uniquement question de libérer l’espace public ou de préserver la nature, mais d’exprimer une nouvelle ruralité par la continuité d’usages culturels et quotidiens entre espaces libres et bâtis : la mairie et sa salle des mariages, la salle de spectacle et le grand parc longeant les rives de l'Attert. À Bissen, comme on l’aura compris, c’est l’architecture qui est un spectacle et l’espace public une fête !
- KKarma
La vie d’une agence peut être vue comme une suite de paris. À chaque concours, l’architecte est mis au défi d’imaginer la proposition indiscutable, apte à convaincre le jury à l’unanimité et remporter la mise. Chaque concours pose la question des limites : jusqu’où aller trop loin ? Faut-il transgresser le cahier des charges et risquer le hors-jeu, ou rester dans les clous, respecter les règles en laissant passer l’occasion de transformer réellement un site ? Nos intentions architecturales seront-elles comprises ? En 25 ans d’existence, nous avons participé à plus de 150 concours. Exaltantes, stressantes, toujours stimulantes, ennuyeuses parfois, ces consultations nous maintiennent constamment dans un équilibre savant et périlleux entre audace et raison.
Parfois on gagne, parfois on perd. Nos projets de concours tracent notre Karma, notre destinée déterminée par la totalité de nos actions passées. Nous ne ferons pas la grande salle de spectacle de Vincennes, mais nous nous en inspirerons pour le projet de Cavalaire. Un jour, la façade en réemploi ou le mur trombe en bois réapparaîtront sur un nouveau projet, dans un an, trois ans, ou plus tard... Les concours sont notre route et notre laboratoire d’idée : c’est pour cela que nous pouvons affirmer que nous n’en avons jamais perdu aucun.
- LLatitude 43
48e degré de latitude nord, l’Île-de-France et Paris, ville où l’agence fut créée. 43e degré de latitude nord, Nice, ville d’origine de Philippe, et siège depuis 2022 d’une antenne traitant les projets de l’agence le long de la Côte d’Azur, à Cannes, Cavalaire ou Nice. Le décalage de 5 degrés sur la carte nous dépayse au quotidien. D’autres territoires, d’autres usages, d’autres pratiques, d’autres lumières et d’autres climats construisent les bâtiments. Dissous dans la société industrielle, les pittoresques « marchés de Provence » de Bécaud attendent une expression contemporaine, en phase avec les mutations sociales et environnementales. Nous en livrons notre interprétation à Cannes la Bocca, où nous concevons une halle de marché, lieu de rencontre convivial et multifonctionnel articulé avec l’espace urbain.
Comment oublier que la Côte d’Azur fut une terre de villas modernistes constituant un patrimoine exceptionnel, de la E1027 d’Eileen Gray au Cabanon de Le Corbusier. Nous restaurons et complétons actuellement un de ces objets méconnus, la villa La Calanque Verte au Cap Bénat dessinée par André Lefèvre et Jean Aubert en 1971. Nous avons quitté les temps des pionniers, et nos interventions relèvent de la réparation des lieux, de l’insertion paysagère de moindre impact et du ménagement des sites, à l’image d’un autre de notre projet à Théoule-sur-Mer où la Maison de l’Estérel et un parc de stationnement émergent en strates arborées du paysage de la Corniche d’Or.
- MMatière Première
Tout projet reste une abstraction tant qu’il ne rencontre pas la matière qui le constitue. La matière est première, parce qu’elle guide le dessin de la structure, et donc de l’espace et de son enveloppe. L’immeuble est-il vertébré ou crustacé, pour reprendre l’expression imagée distinguant les édifices en ossature de ceux en parois maçonnées ? Nous pensons que la force d’un projet réside en grande partie dans sa lisibilité. Si de la réglementation incendie au standard de finition du bâtiment, tout pousse aujourd’hui à envelopper la structure, nous nous évertuons à la faire réapparaître. Le potentiel expressionniste de la charpente bois se vérifie à la Villette ou dans notre agence, qui se donne à lire instantanément au visiteur, sans oublier le métal qui ondule entre les arbres aux Herbiers ou encore le béton lorsqu'il est pertinent.
Le bâtiment raconte sa construction aussi bien par la structure que par son revêtement. Le recours à des matériaux bio ou géosourcés augmente la matérialité des projets, ce qui renforce leur présence dans le site et les possibilités de recréer des liens entre l’architecture et ses usagers. Combien d’histoires à inventer dans les murs de tavaillons de Woody, dans les enduits lunaires de l'ESA ? Les empilements de pierre de Son Blanc valorisent les savoir-faire des artisans locaux et diffusent par leur texture une émotion quotidienne sur une paroi qui saura vieillir avec le temps.
- NNuit noire
La nuit noire nimbant l’espace infini cernant notre planète nous attire irrémédiablement. Elle nous défie de l’explorer, quitte à repousser les limites du possible. Gardant les pieds au sol et la tête froide, nous rappelons que la conquête de l’espace commence sur Terre, et que la route vers Saturne passe du côté du Champ-de-Mars, entre les murs abritant depuis 1971 le siège de l’Agence spatiale européenne. Un vénérable vaisseau dessiné par Jean Perrottet et Valentin Fabre dont nous avons renforcé la silhouette fluide, recuirassées et réorganisées en réalignant les planchers des trois anciennes usines Thomson réinvesties par l’ESA, comme on réaligne les planètes.
Pour magnifier le parcours des délégations, nous avons percé une trémie large comme un carnot et lancé un escalier monumental. L’ascension marque un seuil, une première étape avant l’embarquement dans une grande nef d’acier fondée sur d’anciens parkings. Le complexe sophistiqué de verre et d’aluminium la recouvre, protège les débats des indiscrétions et des rayonnements solaires. Les délégués des 22 pays membres de l’agence spatiale peuvent prendre place sereinement dans ce vaisseau immobile pour tracer le chemin de l’humanité à travers les étoiles et les astéroïdes. It is not rocket science - ce n’est pas sorcier - mieux que ça, c’est de l’architecture.
- OObjets
À l’architecte le bâtiment, au décorateur l’intérieur, au designer la tourniquette, et quoi d’autre ? Aux escargots la Bourgogne ? La spécialisation du travail assigne à l’architecte un domaine d’action restreint, sans craindre de piétiner l’histoire de l’architecture. Qui a conçu la chaise Zigzag, sinon l’architecte Gerrit Rietveld ? Il était aussi, il est vrai, ébéniste, mais Alvar Aalto, juste architecte, fonda avec sa femme une société pour fabriquer les meubles qu’ils dessinaient.
Laissons de côté la Supperleggera de Gio Ponti, les tables à dessin d’Alvaro Siza et tuons le suspens : oui, les architectes continuent, même sans être de grands maîtres, de dessiner des meubles ! Récréation, recherche, terrain de collaborations, tout nous pousse à doter l’espace de ces compléments d’objets directs. Des lampes, des chaises, des tables sont conçues pour accompagner un projet. Ils prennent leur autonomie et deviennent des petites architectures mobiles, que nous mettons à l’épreuve d’autres contextes, d’autres ambiances, d’autres objets. Ces réflexions devraient aboutir à l’édition prochaine d’une chaise, d’une table et d’une lampe.
- PPaysages
Ville ou campagne, aujourd’hui tout fait paysage. Encadré par les réglementations, un projet d’immeuble passera facilement inaperçu dans un paysage urbain. Il en va tout autrement dans un site ouvert, où n’importe quelle construction neuve peut basculer rapidement dans l’outrage. Entre disparition et affirmation, nos interventions recherchent avant tout une interaction avec le lieu. L’Hôtel des Communes des Herbiers en Vendée prend position au sein d’un beau parc en s’enroulant autour des arbres existants. Les parois courbes du plan masse se règlent sur ce geste fondateur, tandis que le volume délaisse le vocabulaire de la construction au profit de celui du Land Art.
Des lames verticales en aluminium anodisé captent la lumière ou la renvoient, se confondent avec le parc ou s’en distinguent en fonction des heures de la journée. Les courbes et la végétation du parking à Théoule-sur-Mer affirment aussi que le projet n’appartient plus au monde du bâtiment urbain, et relève d’un hybride entre infrastructure et végétal, produit de la rencontre entre les deux meilleurs ennemis que sont l’automobile et la nature. Comme sur le projet de l’historial de Vendée aux Lucs-sur-Boulogne, l’insertion dans des sites non urbanisés passe par l’application d’idées innovantes en repoussant les limites de leur mise œuvre. La végétalisation étendue des toitures sur des surfaces triangulées prenant différentes inclinaisons s’inspire des avions furtifs pour faire disparaître le bâtiment.
- QQuartier
Contrairement à toute logique mathématique, le quartier se doit d’être plus que la somme de ses architectures, fussent-elles merveilleuses. Il vit grâce à la tension entre les bâtiments publics et privés, s’anime dans les vides qui les séparent. À Cavalaire-sur-Mer, dans le Var, c’est un petit centre-ville qu’il faut aménager autour du commerce, de la culture et de l’évènementiel. L’ensemble se découvre à pied, au fil d’une déambulation entre les allées, les parvis, les terrains de pétanques.
Depuis le rooftop dominant le site d’une courte tête, on découvre le quartier et l’on se connecte à l’échelle plus vaste de la ville. Un toit qui rassemble, c’est aussi la figure que nous convoquons à Villeneuve-la-Garenne où la halle abrite le futur marché. A l’extérieur les espaces s’animent de la proximité de cette nouvelle polarité commerciale. L’intervention se limite parfois à un passage, dans le cas de Boulogne, des percées généreuses relient le quartier sur dalle du Pont de Sèvres, autrefois isolé, à ses alentours. Qu’il transforme une situation existante ou reconfigure un espace vacant, le projet doit permettre au quartier d’offrir la meilleure part de la ville !
- RRe-
Re-cycler, re-convertir, re-employer. Les architectes du XXIe siècle font tout pour être re-. Re-noncer à faire œuvre d’architecture n’est cependant pas une option. Re-produire ou re-sasser non plus. La ré-habilitation ou la re-conversion inscrit le bâtiment dans un cycle au lieu d’en faire une fin en soi. Le projet, ou l’éternel recommencement. Re-faire la ville sur la ville, une pratique longtemps banale chez les architectes, éclipsée par le modernisme avant son retour pour cause de crise environnementale. Les ressources dans leur rareté incitent à ré-employer les matériaux. Là encore, la renaissance d’une pratique millénaire qui a vu le meilleur et le pire.
Le pire, la réduction en poudre des statues antiques pour faire de l’enduit dans la Rome médiévale. Le meilleur, ou le plus malin, la réutilisation des murailles comme fondations dans les villes européennes. Le réemploi replace les matériaux dans un flux et reflux perpétuel. Le mur se monte, se démonte et se remonte comme à l’Académie Fratellini de Saint-Denis, où nous prenons la suite de Patrick Bouchain et Loïc Julienne et reconfigurons les lieux pour les réadapter aux besoins d’une école supérieure des arts du cirque pérenne. Les matériaux sont remisés sur les lieux mêmes de leur dépose jusqu’à leur réemploi directement in-situ. Ils reposent sous le grand chapiteau dans l’attente de leur renaissance.
- SSouffle
Pour économiser son énergie, le bâtiment se couvre, s’emmitoufle et potentiellement s’étouffe. La ventilation mécanique le place sous respiration artificielle. Il faut des tubes et des tuyaux pour lui redonner de l’air. Et si l’on inspirait autrement qu’avec une pompe électrique ? La cité administrative régionale de Mayotte nous a donné l’opportunité de tester des systèmes de ventilation naturelle pour l’instant plus difficile à rendre efficient toute l’année en métropole. Sous un climat tropical maritime, la question de l’isolation thermique laisse place à la nécessité du rafraîchissement. Les salles de conseil sont coiffées de grands cônes, des coquillages monumentaux agissant comme des cheminées.
L’Alizé engendré par l’anticyclone des Mascareignes souffle un air frais et sec capté à la base du bâtiment. La chaleur au sommet du cône la réchauffe et active un phénomène de convection faisant circuler l’air. Le rafraîchissement naturel des espaces répond ici à des impératifs de sobriété énergétique et d’économie des ressources sur un territoire isolé. Des études avancées (Computational Fluid Dynamic) sur la circulation des fluides ont abouti à la mise au point d’une architecture à la fois écologique, fonctionnelle et singulière, incarnant de façon moderne l’identité de ce département d’outre-mer. L’exemple de Mayotte montre comment les préoccupations environnementales trouvent une expression propre. Le vent nous a soufflé le projet, nous l’avons écouté.
- TTravail
Comment travaillerons-nous demain ? Que faire quand l’open space devenu flex office migre vers le télétravail majoritaire ? La décennie écoulée a balayé toutes nos certitudes en matière de lieux de travail. La technologie, la pandémie, les rapports sociaux, les politiques immobilières ont bouleversé l’univers tertiaire pourtant habitué aux changements récurrents. Les éditorialistes rappellent régulièrement l’étymologie du mot travail, dérivé du latin tripalium, instrument de torture à trois pieux, liant irrémédiablement le travail à la douleur, à la peine. Le travail n’étant pas une corvée pour nous, nous sommes convaincus qu’il peut être agréable pour d’autres. Une partie de notre activité consiste à créer des espaces de travail depuis l’enveloppe architecturale jusqu’à l’aménagement des intérieurs, dans une démarche d’accompagnement.
L’architecture appliquée au monde de l’entreprise, publique ou privée, doit poursuivre deux objectifs : créer les meilleures conditions de travail pour chaque salarié et favoriser le développement de liens entre les équipes. L’architecte peut aller plus loin que l’agencement des plateaux, pour proposer des lieux singuliers, apporter de nouveaux espaces relationnels même lorsqu’ils ne sont pas inscrits au programme ou ne sont pas liés directement à des tâches de bureau. Les terrasses peuvent devenir support d’agriculture urbaine et de sociabilisation, la cafétéria sert aussi de salle de réunion, une table haute permet d’adopter d’autres postures de travail... Si cela ne suscite pas l’envie de revenir au bureau travailler avec ses collègues, nous n’attendons que de nouvelles occasions d’inventer d’autres solutions.
- UUnis
Tout a commencé par une somme de trois, trois personnes décidées à mettre leurs idées et leurs énergies en commun pour développer leur propre agence : Anne-Cécile Comar, Philippe Croisier et Stéphane Pertusier. Nous avons fondé l’Atelier du Pont en 1997 après avoir vérifié dans les agences parisiennes que la réunion de nos forces donnait un résultat bien supérieur à la somme de nos individualités. Faire des projets d’architecture à plusieurs mains n’avait rien d’une évidence. Il fallait savoir tour à tour écouter, convaincre, décider, ajuster, s’accorder et intégrer l’autre dans le processus de conception.
Collectif de fait, notre atelier, qui est né rue Pierre Dupont à Paris, ne cessera de jeter des ponts et des liens jusqu’à constituer un archipel architectural animé par près de 50 collaborateurs et aujourd’hui deux associés. C’est la somme de ces forces vives qui ont fait de l’agence ce qu’elle est aujourd’hui. En béton, en bois, en pierre, en logement, en bureau, sur les côtes ou dans les terres, l’exploration de nouveaux territoires, de nouvelles façons de faire, notre motivation principale est d’étendre l’archipel architectural pour en faire un territoire habitable peuplé d’édifices innovants, confortables, justes et généreux.
- VVitrine
Prenez un local, grand ou petit, enlevez le mur qui le sépare de la rue, remplacez-le par un vitrage : vous venez de réaliser sans grande difficulté une vitrine telle qu’on peut en voir dans des centaines de villes à travers le monde. Tout reste à faire, cependant, car le sujet n’est bien sûr pas la transparence du verre, mais ce qu’elle expose. La vitrine ouvre une scène sur la rue, qui devient un théâtre dont les spectateurs sont les passants, disait l’historien Wolfgang Schivelbusch. Le rideau s’ouvre, il faut convaincre, se montrer, se révéler, attirer, sans recourir au présentoir racoleur, à l’argument massue ni à l’étalage obscène de la marchandise.
Le chaland du XXIe siècle nous paraît suffisamment averti pour s’ouvrir au mystère, prêt à voir le mirage que nous avons disposé en vitrine de la galerie d’art contemporain Lovenbruck. Nous imaginons même que le passant le plus attentif verra au-delà du produit, les parois de terres crues exprimant l’engagement des produits de la marque bio Avril. Des cosmétiques, des œuvres d’art, ou des grimpeurs, en vitrine de la salle d’escalade Arkose à Boulogne-Billancourt, on trouve de tout derrière nos vitrines. On trouve surtout des lieux qui sont le reflet des valeurs portées par les marques et que nous partageons, comme les bijoux circulaires de la Maison Rouvenat avec sa nouvelle boutique dans la très chic rue Saint-Honoré à Paris.
- WWoody
Faut-il l’avouer : notre première rencontre avec Woody, il y a un bon moment déjà, nous avait plongé dans la perplexité. Et pas seulement en raison de l’homonymie avec la marionnette vedette de Toy Story. Aucun de nos projets n’était fait de ce bois-là, aucun n’était conçu dans cette veine. Bien qu’admiratif du charpentier et de l’ébéniste, nous étions plus familiers des maçons présents en nombre sur nos chantiers. Mais nous sentions que sa venue annonçait une nouvelle ère. Nous nous sommes donc résolus à apprendre la langue de Woody, qui nous parut tout de suite très aisé dans ce site du bois de Vincennes. Il apparut très vite que Woody savait tout faire : porter des planchers, aider l’usager à se mettre à table ou exiger le silence autour de lui.
Rigide sans être sévère, Woody s’est montré lyrique et expressif, déployant des écailles en façade suivant une tradition des montagnes, brisant le soleil d’une lame à première vue incertaine qui révélait pourtant sa vraie nature faite d’un grand cœur d’aubier. Pas rancunier, il accepta d’imprimer sa marque sur les parois béton qui cherchaient leur voie. Léger et sûr de lui, joyeux et studieux, protecteur et amical, Woody c’était du jamais vu et il sentait bon. Nous avons depuis accueilli tous ses cousins, et même confié à l’un d’eux notre nouvelle agence — oui, sur ce point, nous resterons de bois !
- XX-Acto
Ni science dure, ni technologie de pointe, ni astrophysique, ni horlogerie, l’architecture reste une discipline étrange et hybride, mélange inédit d’intuition, d’art plastique, de respect des lois physiques, des lois humaines, de la sociologie de la négociation et de la maîtrise des bilans comptables. Devant la feuille blanche, l’architecte ne saurait laisser son inspiration trop longtemps en suspens. Face à des promesses de livraison, des calendriers de réalisation et tous les autres engagements temporels gravés dans le marbre des contrats, il décide, choisit, retient, élimine, arbitre, en un mot, il tranche.
L’X-Acto, outil qui est pour lui ce que le scalpel est au chirurgien, pourrait bien être le symbole de notre profession. Couteau précis et puissant, il incise au millimètre dans les papiers des découpes qui deviendront des fenêtres, des portes, des planchers, les plans rectangulaires et les pièces qui s’assembleront pour former des espaces. Même distancé par les machines taillant le carton des maquettes avec la précision du laser, l’X-Acto continue d’insuffler l’esprit d’exactitude que sa pointe imposait à la pulpe du papier.
- YYvon & Yvonne
Construit en bois et équipé des derniers raffinements en matière de performance environnementale, l’immeuble d’Yvonne était BEPOS, lui avait dit son voisin, E+C-, deux termes qu’elle n’était pas sûre de bien comprendre. L’énergie positive de son immeuble, elle la trouvait sur sa terrasse ensoleillée, connectée à un bâtiment construit dans les années 50 dans un coin du 19e arrondissement de Paris jadis oublié. À quelques centaines de mètres de chez Yvonne, le salon d’Ylies s’ouvrait sur un paysage de cœur d’îlot digne de « fenêtre sur cour » d’Alfred Hitchcock. Il n’avait pourtant encore vu aucun voisin se trucider, et plutôt que de guetter un tel évènement, il se préoccupait plus de regarder la lumière qui métamorphosait la façade de tuiles vernissées du blanc absolu au noir profond, reflétant les luminaires des appartements à la nuit tombante. Yann avait choisi d’habiter un ensemble avec 309 de ses semblables en bordure de Seine, à Clichy-la-Garenne.
Il ne s’attendait pas à passer chaque jour par le square traversant en diagonale leur petite bastide résidentielle, où il rencontrait chaque fois des voisins plus ou moins bien lunés. Yasmine ne craignait pas les frictions du quotidien, depuis qu’elle avait découvert que le jardinage en commun apaisait bien des tensions. Autant qu’elle le pouvait, elle se rendait dans les serres communes installées sur le toit de son immeuble de Saint-Denis, à l’allure d’un petit donjon en brique géré par un bailleur social. Normaux et uniques comme tout un chacun, Yann, Yvonne, Ylies, Yasmine et les autres vivaient dans des logements uniques et singuliers, étendant leur pouvoir d’habiter au-delà de leurs quatre murs.
- ZZéro
Tendre vers zéro et imaginer en deçà : telle est l’ambition non nulle que nous voulons porter dans nos projets en matière d’émission de gaz à effet de serre et d’empreinte écologique. Atteindre le zéro absolu est impossible, mais réduire l’impact environnemental de nos bâtiments pour les inscrire dans une dynamique de transition bas carbone nous préoccupe au quotidien. Entre le respect de l’environnement et la qualité architecturale, nous ne choisissons pas et prenons sans hésiter les deux options. Low future n’est pas synonyme de No future. La transition environnementale signifie des changements de pratiques, l’exploration d’écritures architecturales inédites et une conception justifiée par son impact minimal sur la planète.
Les liens étroits avec notre bureau d’étude environnemental Plan02 introduit l’écoconception dès les premières esquisses. Entre éco et co-conception, il nous dirige vers l’orientation la plus pertinente en termes d’exposition solaire, de vent ou de protections des nuisances. Les choix de matériaux croisent la préoccupation carbone au crible de la logique, recourant selon les besoins au bois, au béton, à la pierre, à l’acier, ou autre. Aux dogmatismes étroits, nous préférons la raison et le bon sens. C’est encore avec Plan02 que nous accordons usages et objectifs, en guidant les habitants vers les options énergétiques les plus adaptées à leur mode de vie.
